Stage olympique marocain (Rabat, 31 janvier – 4 février 2017)

Mardi 31 janvier

De bon matin (de mémoire de Marocain, toutefois, cet hiver est d’une rare cruauté), les neuf encadrants, dont moi-même, se sont donné rendez-vous pour une réunion préparatoire en ville, les élèves devant arriver dans l’après-midi. Auparavant, j’ai pu visiter un peu Casablanca et Rabat avec Amine Natik, membre de Math&Maroc, qui m’accueille généreusement.


*L’Atlantique sous un soleil d’hiver, c’est facilement à  18°C… *

Nous bénéficions de la présence de M. Stitou, responsable du pà´le Excellence au Ministère de l’Education, pour discuter des perspectives de développement pour les olympiades mathématiques au Maroc : c’est toute une culture à  créer…

* Remise d’une médaille à  l’effigie d’Henri Poincaré à  M. Stitou… le sourire était sur la photo non prise *

Ensuite, autour de Mohammed Berraho, chef de la préparation, nous regardons les tests précédents et les résultats, pour savoir comment calibrer ceux du stage. Il faut dire qu’entre les deux épreuves de 4h30 jeudi et vendredi et les nombreux cours le reste du temps, les élèves auront une expérience brève mais intense !
Composer un planning n’était pas une mince affaire, puisqu’il restait seulement le mercredi et les deux après-midis suivants pour faire cours. La combinatoire étant une priorité pour ce stage – après tout, ils s’étaient attaché les services d’un mercenaire étranger à  grand frais en lui offrant le voyage, j’ai obtenu la moitié des cours du mercredi… soit deux séances de 2h. Intense, a-t-on dit. De plus, puisque je ne corrigerai pas de copies pour des raisons linguistiques (l’universalité des mathématiques ne permet pas automatiquement de lire Al-Kashi en langue originale, hélas), je récupère les séances en début d’après-midi jeudi et vendredi. Et, histoire d’en remettre une couche, on me confiera les élèves dès après le dîner de ce soir, pour un dessert combinatoire.
Ils devraient être une vingtaine, en “2e année Bac” [mais passeront leur Bac pour la première fois, c’est l’équivalent d’une Terminale], survivants des sélections successives depuis leur premier stage en avril dernier. Celui qui se déroule ces jours-ci, par ses effectifs, son planning et son mode de fonctionnement, sera sans doute bien différent de ce que nous connaissons en Gaule, et je m’appliquerai à  en remarquer tous les détails.


* On travaille dur sur les sujets : quatre exercices retenus, c’est parfois des dizaines de testés et abandonnés… *

Après une friture aux fruits de mer à  un tarif fort réduit, nous nous remettons (poussivement) au travail, avant de migrer vers le Centre de Formations et de Rencontres Nationales, sis au coeur du quartier Takkadoum. Plus prosaà¯quement, loin de la mer.

* Rabat-jour… *

* Rabat-nuit. Bien agréable, ce CFRN. *

La rencontre avec les élèves a lieu une fois le dîner terminé : après un grand soleil toute la journée, c’est sous la lumière des néons que tombe la pluie de traditionnels stylos Animath et autres DVDs Dimensions/Chaos [une petite merveille de vulgarisation sur la découverte de la quatrième dimension et les systèmes dynamiques, pour qui aurait échappé au raz-de-marée d’il y a quelques années]. Les festivités continuent avec quelques rappels sur le principe de l’extremum, la récurrence, le principe des tiroirs et les invariants. Il y a du pain sur la planche si on veut abattre des exercices des listes courtes des olympiades internationales des années précédentes (parmi lesquels sont choisis ceux de l’épreuve), mais les troupes sont prêtes au combat.

* “Alors, voyez, on enferme délicatement un entier naturel dans chaque case de la grille infinie…” *

* “Franchement, vous croyez, vous, qu’il peut y avoir deux valeurs différentes si chacun est supérieur à  la moyenne de ses quatre voisins ?” *

La pause nocturne est décidée vers dix heures du soir. Je discute un peu avec les élèves, puis je monte dans ma chambre, o๠il fait légèrement frais, et les trois couvertures témoignent autant de la chaleur de l’accueil que de la frilosité de mes hà´tes. Après quelques minutes de bruit, tout le monde s’est endormi – un stage décidément pas comme les autres.

Mercredi 1er février
On se lève tà´t + une heure (les Marocains ont fait leur choix horaire entre la Grande-Bretagne et la vraie, prenons-en bonne note) pour continuer sur la lancée de la veille. Après quelques exercices simples, nous terrassons un premier problème de ces fameuses listes courtes. La récompense qui suit n’est pas ingrate, même lorsqu’on a l’habitude des boulangeries françaises.

* Merci aux autres enseignants de m’en avoir laissé un peu… *

Iliass, qui étudie lui aussi en France, leur montre ensuite avec brio que les polynà´mes cyclotomiques ont un joli nom à  raison, et que les usages des polynà´mes de Tchebitcheff sont presque aussi variés que les orthographes admissibles du nom de ce brave monsieur. La séquence d’algèbre se termine par un bon déjeuner. Je ne parle pas encore couramment arabe, malgré les efforts de mes collègues, mais il me semble que dans le long poème de la gastronomie marocaine, “végétarien” rime avec “plantureux”.

* “Salade de flore, j’adore, j’adore, j’adore…” D’après les connaisseurs, les oeufs et le saucisson de dinde ne comptent pas. *

La leçon de géométrie post-prandiale par MM. Achak et Ibaoui me permet de constater que si la préparation marocaine est en général moins développée que son analogue française, elle n’a rien à  lui envier dans ce domaine.
Pour terminer ma journée, rien ne vaut une nouvelle séance avec les jeunes – chaque année, ils ont un an de moins, rendez-vous compte – o๠nous terminons le chapitre de stratégies de “base” (tout comme dans les mathématiques “élémentaires”, on y peut trouver des raisonnements extrêmement complexes) et entamons la géométrie combinatoire. Je suis heureux de voir qu’un certain nombre d’entre eux ont su résoudre a une petite énigme posée la veille, et que l’élève envoyé au tableau, constatant que sa solution était erronée, improvise habilement pour la corriger. Et vous, sauriez-vous prouver qu’un ensemble E de points du plan contenant au moins un point, et tel que tout point de E est le milieu d’un segment reliant deux autres points de E, est nécessairement infini ? Pour ma part, je passe à  la poésie de Shakespeare : “The proof is left to the reader”.
Le cours à  peine terminé, mon bureau est pris d’assaut… eh oui, il y a test demain, et il est l’heure de la météo. Je botte en touche dans un trait d’humour et me glisse jusqu’au tajine de dinde aux olives qui récompense le labeur du jour.
“Leà¯la saida !” comme on dit chez nous, et à  demain !

Jeudi 2 février

Sur le coup de 8h36 commence le premier test. Durant 4h30 – format type IMO oblige, les élèves sont aux prises avec quatre exercices au lieu de trois, car nous voulons les évaluer dans les quatre domaines : algèbre, arithmétique, géométrie… et combinatoire. Après de longues discussions mardi, nous avions opté pour un exercice de géométrie abordable vu le bon niveau des élèves, un moyen en algèbre – un exercice de suites numériques o๠il suffit d’enchaîner quelques manipulations élémentaires, sans outil sophistiqué, un difficile d’arithmétique, sorti du chapeau d’Amine, et un facile de géométrie combinatoire… mais utilisant des outils vus la veille, tels que la récurrence combinée au principe de l’extremum, et l’enveloppe convexe. Une bonne occasion de voir qui avait su se familiariser rapidement à  ces nouvelles techniques.
Laissant donc les forçats volontaires à  leurs travaux herculéens – quatre en un jour c’est beaucoup déjà  – sous bonne garde, M. Berraho et Abderrahmane Achak nous emmènent Iliass et moi faire une visite de la capitale. Celle-ci se situe sur la rive sud du fleuve Bouregreg. Qui pourrait se douter qu’un fleuve aux airs de rivière large d’à  peine cinquante mètres aurait pu creuser une immense vallée d’une centaine de mètres de profondeur, et dont la largeur peut atteindre plusieurs kilomètres, dans une terre certes friable car riche en argile ? Nous roulons donc d’est en ouest, jusqu’à  atteindre la kasbah des Oudayas, qui fait front à  la mer. Au nord, par delà  l’embouchure, se situe Salé, dont la population est plus importante que celle de Rabat, et qui lui sert d’immense ville-dortoir.
Après une promenade dans les ruelles de la medina, o๠se situent de nombreux commerces plus ou moins traditionnels et moins ou plus touristiques, nous montons jusqu’à  la kasbah, enceinte fortifiée sur un roc, et dont les habitations ont un style portugais hérité de la colonisation du quinzième siècle ( «Â en tout cas, ça doit être par là Â  » précise un de nos deux guides), reconnaissable à  ses charmantes habitations bleues et blanches et dont les allées pentues sont parsemées de volées de marches.

* 10h30, c’est un peu tà´t pour ouvrir les commerces, non ? *

* Les jardins de la kasbah… *

* …et ses petites ruelles *

* Au café maure avec Iliass et M. Berraho. [credits : Abderrahmane Achak Professionnal Pictures] *

* Le TFJM^2 à  la conquête de Rabat… *

* … en porte-à -porte par-delà  les Colonnes d’Hercule ! *

Tout en haut, sur le promontoire, on peut admirer l’Atlantique, qui malgré sa majesté et surtout sa température séduisante – 18°C a-t-on dit, c’est pas beau ? – n’attire que quelques surfeurs.

* La mer, au fond, Salé… le ministère de la culture a interdit les jeux de mots à  ce sujet. *

Nous reprenons la voiture jusqu’au quartier des potiers plus en arrière, dans la plaine entre les deux grandes villes. Nous sommes parmi les rares touristes à  venir voir à  l’Å“uvre nombre d’artisans, de ceux qui moulent les vases à  ceux qui les décorent, en passant par les carreleurs ou les tresseurs de rotin.

* La jambe droite fait tourner une pédale qui entraîne l’axe à  une vitesse contrà´lée par l’artisan… malin. *

* Maison pour pigeons. *

Nous rentrons pile à  l’heure du déjeuner, et faisons connaissance avec un sympathique comité d’accueil, composé de quatre poulets et d’innombrables olives.

* Le poulet à  huit pattes, un plat typique. *

Une courte sieste bien méritée est interrompue par le cours quotidien de combinatoire. Au programme, un problème russe et un exercice tombé à  l’olympiade internationale. Pas commodes, mais l’effet du repas se fait sentir… et peut-être un peu celui du test ?
En effet, les copies de nos aspirants demi-dieux nous rappellent qu’au pied de l’Atlas se situe le jardin désespéride. L’épreuve était plus difficile que prévue, la combinatoire et l’algèbre surtout ont fait des dégà¢ts importants. Je suis tout de même content de découvrir trois solutions impeccables au problème que j’avais proposé. Après un dernier cours et une correction du test coupée par le dîner (une bonne soupe aux légumes, pois chiches et fruits secs suivie d’un petit plat de viande, les soirées ici sont modestes), les élèves partent au lit tandis que nous finalisons l’énoncé du test du lendemain : surprise…

Vendredi 3 février
Rebelote aujourd’hui, donc, avec une épreuve supposément plus facile. Enfin, c’est toujours ce qu’on dit lorsqu’on a cherché des exercices avec un Å“il sur les solutions «Â pour aller vite et pour n’en oublier aucune  ». L’algèbre est un exercice sur des polynà´mes relativement abordable (mais pas simple pour autant), l’arithmétique, un problème bien plus aisé que celui de la veille, sachant qu’on leur a rappelé en cours quelques propriétés qui pourraient être utiles… Connaissez-vous par exemple le «Â Lemme des restes chinois  »Â ? La légende raconte qu’après une terrible bataille, un général chinois aurait demandé à  son armée de former des rangs de 2, puis 3, puis 5, puis selon les nombres premiers suivants, en comptant le nombre de soldats manquants pour compléter le dernier rang, pour évaluer le nombre d’hommes qui lui restaient. Aujourd’hui encore, il arrive que des élèves [aucun nom ne sera cité] croient qu’il s’agit du «Â Lemme des restaus chinois  » car il donnerait une méthode pour compter les grains de riz. Les hasards heureux de la transmission orale… Pour la combinatoire, un problème avec un monovariant, technique vue plusieurs fois en cours : pour moi aussi, c’est un peu un test ! Enfin, la géométrie sera très difficile, les géomètres ayant bénéficié hier d’un exercice très abordable.

* Les élèves surveillés par le vigilant M. Hassan. *

* De quel exercice s’agit-il ?… *

Nous partons visiter la Chellah, l’ancienne ville romaine qui donna son nom à  Salé, dans le Nord-Est de Rabat. Derrière une imposante muraille médiévale, on y trouve un jardin anglais, qui descend jusqu’aux ruines antiques et médiévales. Les restes d’un mausolée d’une reine mérinide du treizième siècle sont désormais un luxueux domicile pour nombre de cigognes et de chats.

* … *

* Le mausolée aux cigognes. *

* Monsieur de Cigognac vous salue bien ! *

* Dans la salle de prière. *

* Une cloche dans une ancienne mosquée. *

* Les chats marocains observent une petite distance de sécurité. Les automobilistes aussi. *

Sur le chemin du retour, nous faisons un petit détour par un café, o๠nous retrouvons M. Achak et… le team leader de l’équipe marocaine au MYMC 2016, o๠j’encadrais les français. Cet effet petit-monde est le bienvenu, et c’est de bonne humeur que nous passons à  table. Et vendredi, c’est couscous !

* Le jeu des sept légumes (on a compté). *

La montagne suivante est un exercice d’olympiades internationales pour le dernier cours de combinatoire (déjà  !). Une fois celle-ci abattue, les élèves se détendent tandis que j’attaque le troisième col de la journée : la correction des copies de combinatoire. Pour comprendre les six en arabe, je pédale un peu dans la semoule, notamment lorsqu’il n’y a pas de dessin. Avec MM. Essanhaji et Jamal, nous venons à  bout du paquet et des raisonnements les plus alambiqués des candidats.
Après le dîner a lieu le solennel mot des professeurs devant les élèves, l’annonce des sélectionnés pour le dernier stage début avril, puis une discussion pour connaître les thèmes qu’ils voudraient en priorité travailler et faire part de leurs conseils pour améliorer la préparation suivante – notamment l’amplitude du test de sélection.
Il nous reste encore une soirée et une matinée pour passer encore quelques bons moments mathématiques mais pas que, histoire d’adoucir une fin de stage toujours trop rapide…

Guillaume CONCHON–KERJAN