Pourquoi créer des clubs lycéens de mathématiques périscolaires en Afrique subsaharienne ?

L’Afrique a un besoin urgent de former des cadres scientifiques aptes à s’adapter à la nouvelle économie largement fondée sur le numérique, les communications, les innovations et les capacités à adapter les découvertes en sciences et technologies aux besoins locaux de développement.  Si cela ne se réalise pas elle accusera son retard dans ces domaines nécessaires à son développement. Dans ce cadre les mathématiques et l’informatique jouent un rôle important, même si d’autres domaines doivent aussi être pris en considération tant en sciences exactes qu’en sciences humaines.

Or l’enseignement de mathématiques en Afrique souffre de plusieurs difficultés qui ne lui sont d’ailleurs pas strictement propres :

  • La formation de base en mathématiques des enseignants d’école, de collège et de lycée est souvent largement insuffisante. Selon plusieurs sources, dans certains pays moins de 10% de ces enseignants ont en mathématiques ou en informatique une formation de base suffisante pour faire leurs propres enseignements. Beaucoup d’entre eux ne connaissent pas vraiment l’utilité et la place des mathématiques dans la société.  De plus la faiblesse des salaires des enseignants fait que ceux qui réussissent à faire de bonnes études de maths (pas forcément à un niveau très élevé) trouveront de bien meilleures rémunérations que dans l’enseignement.
  • En conséquence les cours de maths sont trop souvent enseignés de manière très dogmatique, avec parfois un manque de rigueur que bien sûr peu d’élèves sont aptes à déceler, et la transmission de « formules » à appliquer avec plus ou moins de bonheur. Le doute et la découverte de la rigueur et de la beauté de démonstrations « élégantes » sont parfois remplacés par une nécessaire docilité dans l’apprentissage, ce qui est le contraire tant de l’attitude du chercheur que de l’esprit de l’innovation.
  • Une autre constatation est la faible proportion de filles qui s’orientent vers les études scientifiques et particulièrement les mathématiques. Or l’éducation des filles, et en conséquence la place des femmes à égalité avec les hommes, est un point essentiel de la construction de la démocratie et d’une démographie maîtrisée.
  • Plus généralement, le nombre de jeunes Africains se destinant aux études scientifiques et techniques est très insuffisant.

Or on constate que mis dans une situation qui favorise et valorise son inventivité, un ou une élève peut opérer un véritable déblocage dans son attitude de passivité devant les maths. L’idée principale étant alors de lui faire s’approprier les mathématiques qu’il découvre, certes avec l’aide de mathématiciens à la fois passionnés par leurs domaines et expérimentés dans cette relation avec les élèves. Les résultats sont souvent spectaculaires, comme le montre cet extrait de la lettre d’une élève congolaise exprimant son sentiment sur l’école d’été de 2016 d’un club Animath de Kinshasa :

« …. J’ai compris que les mathématiques sont aussi un langage où chaque phrase exprime une idée, annonce un résultat et formule une demande. J’ai compris qu’en mathématique avant de mémoriser une formule et la reproduire lors d’un exercice ou dans un contrôle, il faut déceler la logique qu’elle comporte. Celle-ci se trouve dans chaque donnée, théorème, formule que nous appliquons. Ce n’est qu’une fois cette logique imprégnée que les voiles tombent. La logique nous aide à bien comprendre les énoncés d’exercices. C’est par l’appropriation de cette logique, par la compréhension des mathématiques comme un langage que nous serons à même de donner corps aux théorèmes, axiomes  et principes…. »

Conscients de ces problèmes plusieurs mathématiciens ont créé en France il y a une vingtaine d’années l’association Animath, pour rendre les maths plus attractives auprès des élèves de collèges et de lycées. Il s’agit alors de faire travailler les lycéens en mini groupes de 4 à 6 sur des sujets non triviaux, demandant de la réflexion parfois longue mais toujours passionnante.

Plusieurs dimensions ont été données à l’action d’Animath et des associations du même type travaillant en relation avec Animath, Math.en.Jeans, Kangourou des maths, Filles et Maths, Concours Alkindi de codage, etc., toutes cherchant à intégrer une orientation recherche dans leurs activités et non à dispenser des rappels ou renforts de cours. Clubs de mathématiques de divers niveaux (il y en a plusieurs centaines maintenant en France), compétition entre équipes sur des sujets donnés à l’avance ou élaborés ensemble, travail en commun avec des chercheurs, conférences de vulgarisation, etc.

En 2010 en répondant à des sollicitations venant de pays étrangers, Animath a démarré une activité internationale, en aidant à l’implantation durable dans ces pays de clubs lycéens de mathématiques périscolaires, c’est-à-dire hors des cours classiques, destinés uniquement à des élèves motivés, et avec la participation de chercheurs mathématiciens locaux et français. Cela touche en particulier l’Afrique francophone subsaharienne.  Nous pensons que si ce qui démarre en collaboration avec les universités et lycées dans un pays donne naissance  à quelques clubs lycéens, et que ceux-ci essaiment ensuite plus largement, le pari de faire naître un intérêt plus grand pour les sciences et la technologie, tant pour les lycéens que pour les lycéennes, sera en voie d’être gagné.

Dans ce pari nous espérons favoriser le retour de compétences de la diaspora scientifique africaine installée en France.  Ce qui est déjà engagé par la présence  dans les équipes déjà constituée de trois mathématiciens d’origine africaine en poste dans des universités françaises. Par la suite il pourra être envisagé d’organiser un suivi pour les anciens des clubs lycéens devenus étudiants en mathématiques ou informatique et de les aider à poursuivre des études de haut niveau en organisant en Afrique même des sessions d’initiation à la recherche. .

Enfin, Animath étant en contact étroit avec les universités en France peut aussi servir de relais pour aider à développer les coopérations scientifiques franco-africaines en mathématiques et informatique, voire plus largement en sciences, et même au-delà.

 

Les clubs lycéens et le « Festival des maths » au Congo-Kinshasa

Le partenaire d’Animath au Congo-Kinshasa est l’ONG « Synergie pour le Développement intégral du Congo » agissant en accord avec les autorités académiques du pays.

Séance de restitution du Festival des maths dans un lycée de Kinshasa
en mai 2018 par des lycéennes y ayant participé.

Activités réalisées à Kinshasa depuis la création du premier club Animath en 2015

¤ Deux sessions intensives (juin 2016 et avril 2018) d’une semaine avec participation d’animateurs Animath-France : Jean-Pierre Boudine (professeur agrégé de mathématiques), Thomas Sentis (élève en seconde année de l’École Polytechnique). Cinquante lycéen·ne·s ont participé en 2016, deux cents en 2018.

¤ Invitation en 2016 de deux professeurs et trois lycéens (seuls deux ont pu venir) à l’école d’été « Maths en Folie » à l’École Normale Supérieure de Lyon. Rencontre à Paris avec la direction de plusieurs associations membres d’Animath.

¤ Une dizaine de professeurs et inspecteurs congolais ont assisté en avril 2018 à la deuxième session, « le festival des mathématiques », organisée au Lycée français de Kinshasa, par les huit clubs Animath, 200 élèves participant·e·s. Les autorités scolaires (inspecteurs, directeurs de lycée) ont assisté à tout ou partie de la session et l’ambassade de France y était représentée par son Attachée de coopération. Présence active d’un mathématicien de l’Université de Brazzaville, Fernand Malonga, laissant espérer la prochaine naissance de deux ou trois clubs Animath en République du Congo. Animath a financé les voyages de ses deux intervenants, l’Institut Français leurs frais de séjour et les institutions congolaises les frais de la session elle-même.

¤ Séance de restitution « en ambiance Animath » dans leurs lycées par les lycéens de la session de 2018. Nombre d’élèves touchés : 766.

¤ Admission d’un lycéen à l’école d’été de juillet 2018 à l’École Normale Supérieure de Paris (mais problème de visa non surmonté).

¤ Admission en CPGE à Marseille du lycéen d’un club. Mais l’admission fut trop tardive pour être réalisée.

¤  Article sur nos activités publié dans la revue de la CFEM, commission française de l’enseignement mathématique.

Les clubs Animath en République démocratique du Congo

Sept nouveaux clubs Animath sont prévus pour cette nouvelle année académique, ce qui portera leur nombre à une quinzaine.

Liste des lycées congolais impliqués dans l’implantation de clubs Animath : Collège BOBOTO ; Institut de la GOMBE II ; Institut Monseigneur BOKELEALE ; Lycée Monseigneur SHAUMBA ; Collège Notre Dame de FATIMA ; Collège Saint Fréderic ; École Turque SAFAK ; Complexe Scolaire les Loupiots ; Collège Père ALINGBA ; Collège Saint Joseph ELIKYA ; Collège Saint Raphaël ; Institut Monseigneur MOKE ; Lycée Français de Kinshasa ; École Belge   ; École Juive JOWELS.

La troisième session intensive rassemblant ces clubs est prévue en avril 2019.

Les clubs de Pristina (Kosovo)

Le Club Animath de Pristina a été créé en 2013 par Qëndrim GASHI, un jeune docteur en maths de l’Université de Chicago. 12 lycéen·ne·s, 6 filles et 6 garçons, y étudiaient les sujets envoyés par deux doctorants du laboratoire d’informatique de l’Université Paris VII, Nathanaël Fijalkow et Virginie Lerays. Avec le soutien apprécié de l’ambassade de France et du Kosovo Education Center,  une École de Printemps 2014 a été organisée pour  une trentaine de lycéen·ne·s enthousiastes, encadré·e·s par Virginie, Qëndrim et Nathanaël.

La seconde école a eu lieu en mai 2015, encadrée par Emilie Devijver (Probabilité et statistique, Orsay), Nathanaël Fijalkow (Informatique théorique, Paris VII), Rémi Molinier (Maths pures / Algèbre, Paris 13) et Qëndrim Gashi (Maths pures / Géométrie) animateur du club Animath.

“La semaine était organisée autour de la notion de hasard et de probabilité…. Les élèves étaient regroupés par tables de 2 filles et 2 garçons autour de problèmes que l’un de nous exposait, puis nous les laissions chercher en groupe. Nous répondions à leurs questions et discutions de leur avancement. A la fin, un étudiant venait donner la solution au tableau.

 Au début de chaque session des groupes exposaient durant 20 minutes sur des thèmes proposés. Le soir, nous proposions « l’énigme du jour » qui était résolue le lendemain matin. Les exercices qui les ont le plus intéressés étaient ceux présentés sous forme de jeux (recherche de stratégie pour optimiser les chances de réussite, …). Les jeux en situation avec des carrés de chocolat comme monnaie ont eu un franc succès.  Si les lycéens étaient parfois bruyants, c’était surtout d’enthousiasme !”

Le club Animath de Pristina : école de mai 2015

Fin  2015, un second club était créé à l’Université de Priština pour des étudiants en  licence, avec le soutien du LABEX « Milyon », en vue  d’une initiation à la recherche en mathématiques. Ces étudiants pouvaient,  après leur licence, postuler à des  formations de master en France. En décembre 2015 une session sur la théorie des graphes  rassemblait une quinzaine d’étudiants, encadrés par trois doctorants français (Alexandre Bordas, Emilie Devijver et Rémi Molinier).

A l’occasion de cette session, un mimeo d’une cinquantaine de pages : « Winter School in Prishtina / Introduction to graph theory » a été rédigé par les intervenants. Il peut être envoyé sur demande adressée par mail à : duhamel@animath.fr.

Une seconde session d’initiation à la recherche a réuni, du 15 au 18 avril 2016, 15 étudiants de l’Université de Pristina encadrée par Petru Mironescu (responsable du Labex Milyon), et deux doctorants : Clément Alleaume, de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, et Alexandre Bordas, de l’École Normale Supérieure de Lyon.

« La forte motivation et le bon niveau des participants, ainsi que l’accueil très chaleureux, ont laissé un excellent souvenir aux intervenants et ont contribué au succès de l’événement. »

Petru Mironescu, responsable du Labex MILYON

Petru Mironescu, responsable du Labex MILYON, entouré d’étudiants de l’Université de Pristina. À gauche, Alexandre Bordas et Clément Allume. À droite, Kajtaz Blacca, le responsable du club

 Plusieurs étudiants, issus de ces clubs au Kosovo, étudient maintenant avec succès en France, en Allemagne ou en Amérique. Mais fin 2016, Qëndrim Gashi, leur principal animateur, a été nommé (à 31 ans) ambassadeur du Kosovo à Paris. Le processus a été momentanément interrompu et nous espérons qu’il reprendra bientôt.